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Denis Chemla : L'affectif

Réputé pour ses compétences en droit pénal des affaires et en droit bancaire, Denis Chemla dirige aujourd’hui le département arbitrage et contentieux du cabinet Allen & Overy. Engagé depuis le début de sa carrière dans un grand nombre d’activités pro bono, l'avocat souhaite s’investir davantage pour la profession. Portrait d’un expert multidimensionnel.

Dans la salle de réunion au dernier étage du prestigieux cabinet Allen & Overy, Denis Chemla se fait attendre. Une impolitesse qu’il sait très vite faire oublier. Élégant, courtois, souriant, l’avocat dégage une énergie contagieuse. Une certaine sérénité aussi. Celle d’un professionnel dont les compétences sont à la fois incontestées et incontestables. Reconnu par ses pairs comme l’un des techniciens les plus doués de sa génération en droit pénal des affaires et en droit bancaire sur l’aspect contentieux, l’homme n’a aujourd’hui plus rien à prouver. Ses atouts ? Une grande force de travail, une excellente mémoire et une « extraordinaire intelligence », estime Sophie Brézin qui l’a côtoyé chez Herbert Smith pendant une dizaine d’années. « Il est complet et comprend très vite les sujets, témoigne-t-elle. Il est aussi très sympathique et très drôle. Avec lui, on ne s’ennuie jamais. » Même enthousiasme chez Hubert Segain, avec qui il partage certains clients : « Il est plein de vie, note l’avocat. J’ai toujours un grand plaisir à le voir. » 

Réputé pour son sens de l’humour, sa vivacité d’esprit, voire sa « malice », selon certains de ses amis, il n’en est pas moins exigeant et rigoureux. « Il aime travailler avec des confrères ou des clients qui captent les sujets aussi rapidement que lui », poursuit-il. « Je suis méditerranéen, assume Denis Chemla. Quand quelque chose m’agace, je ne fais pas semblant. Avant de tempérer : sous mes airs de grande gueule, je suis en réalité très affectif avec mes collaborateurs. » À l’aise à l’écrit comme à l’oral, cet orateur de talent sait parfaitement capter l’attention de ses interlocuteurs.

Capacité à s’adapter

Au collège, déjà, il aime prendre la parole et défendre ses camarades. « J’étais délégué de classe, se souvient avec une pointe de fierté celui qui a toujours rêvé de porter la robe. On m’appelait déjà l’avocat. » Issu d’un milieu populaire, il grandit en Seine-Saint-Denis et se familiarise avec la bourgeoisie parisienne dans les couloirs de la faculté d’Assas au début des années 1980. 

« Sous mes airs de grande gueule,
je suis en réalité très affectif avec mes collaborateurs. »

« J’ai toujours eu une grande capacité à m’adapter, et en plus, j’aime ça », explique-t-il. Une fois sa maîtrise de droit privé en poche, l’étudiant passe avec succès le CRFPA, entre à l’école de formation du barreau — passe en parallèle un DEA de droit international — puis décroche sa première collaboration. À seulement, 22 ans, il traite de dossiers de droit privé général et apprend les rudiments du métier. « C’était une époque bénie pour moi », raconte-t-il avec beaucoup de reconnaissance envers ses premiers mentors. Mais l’homme a de l’ambition, veut sortir de sa zone de confort et vivre son rêve américain. Quelques années plus tard, il obtient une bourse et une place à l’Université de New York. 

Nouveau tournant

« Je suis parti du jour au lendemain », se souvient celui qui, une fois son master en poche outre-Atlantique, s’inscrit au barreau new-yorkais et intègre le cabinet Shearman & Sterling. « Ce n’était pas très marrant, reconnait-il, avant de nuancer avec la délicatesse qui le caractérise : disons que ce n’était pas en adéquation avec mon karma. »

Sollicité par des confrères français, il rentre à Paris trois ans plus tard. Mais là encore, l’avocat n’est pas en phase avec l’esprit de la maison. « J’ai beaucoup de respect pour ce cabinet de très grands professionnels, mais c’était un milieu un peu traditionnel un peu old school », explique-t-il. S’il est d’ores et déjà reconnu pour ses compétences juridiques, l’intuitif Denis Chemla le sait : sa place est ailleurs. En 1996, lorsqu’il intègre Herbert Smith, sa carrière connaît un nouveau tournant. Au sein du cabinet britannique, il prend une nouvelle envergure : celle d’un expert pointu et reconnu en droit pénal des affaires et droit bancaire. Deux ans après son arrivée, il est promu associé. Une consécration pour cet avocat de 33 ans. 

Vision internationale

« À l’époque on devenait associé plus jeune, précise-t-il. J’avais tout de même dix ans d’expérience. » S’il aime plaider et gérer les dossiers complexes, l’associé se réalise dans le rapport à l’autre et au contact avec la nouvelle génération. « Nous avons créé une dynamique autour d’une équipe de collaborateurs que nous avons vu évoluer et que nous avons encouragés à voir plus loin », se remémore-t-il plein d’enthousiasme, confiant avoir été « très heureux » lors des seize années au sein du cabinet. Seulement voilà, Denis Chemla veut dépasser les frontières et regrette le manque de vision internationale de la maison. « J’ai perdu la foi dans la stratégie », reconnaît-t-il. En 2011, après avoir été sollicité à plusieurs reprises, il rejoint finalement Allen & Overy pour diriger le département contentieux et arbitrage, et continue de traiter des dossiers en droit pénal des affaires ou droit bancaire, le plus souvent dans un contexte international. Ses clients ? Des entreprises ou établissements financiers faisant l’objet de poursuites de la part soit du parquet soit du régulateur, tels que UBS, HSBC, Natixis ou encore Deutsche Bank. 

« Nous sommes des privilégiés,
il est normal de rendre service à la communauté »

Pro bono

Par-delà son activité contentieuse, l’avocat est aussi reconnu pour ses nombreuses missions pro bono. « Il a un réel intérêt pour le collectif, assure Sophie Brézin. Il ne se contente pas de rester dans son coin. » En 1995, Denis Chemla cofonde et préside l’association « Droit d’urgence », qui compte aujourd’hui une cinquantaine de salariés. Objectif : donner un accès au droit aux plus démunis. L’homme s’investit également à l’international. En 1999, il part au Kosovo dans le cadre d’une mission des Nations unies et contribue à la reconstruction juridique du pays. « C’était génial, parce que c’était une tout autre façon de faire du droit », se souvient celui qui est par ailleurs régulièrement sollicité en tant qu’expert juridique dans le cadre du Conseil de l’Europe. Des actions qu’il laisse de côté en 2009 pour se consacrer à la profession. Élu au conseil de l’ordre, il devient secrétaire de la déontologie du barreau de Paris. Une activité entièrement bénévole. « Nous sommes des privilégiés, il est normal de rendre service à la communauté », estime-t-il. Et pour l’avenir ? Une candidature au bâtonnat ? Une fonction à la hauteur de ses compétences.

Capucine Coquand