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Peter Rebeiz : Monsieur Caviar

Le patron de la société Caviar House & Prunier n’est pas un businessman comme les autres. Ce chef d’entreprise à succès est un amoureux des belles et bonnes choses qui sait aller au bout de ses intuitions. Intuitif, il n'hésite pas à investir là où d’autres ne s'aventurent pas. C’est le cas lorsqu’il décide de reprendre la production de caviar 100 % français lancée il y a cent ans par le fondateur de la célèbre maison Prunier. Portrait d’un ambassadeur du bon goût déterminé à mettre en lumière l'histoire du premier caviar tricolore.  

Novembre 2020

Le caviar, Peter Rebeiz est tombé dedans quand il était petit. Depuis, il ne s’en est jamais détaché : « J’avais 4 ans lorsque mon père a fondé Caviar House & Prunier. C’est lui qui m’a initié à ce produit hors du commun. » Véritable prodige en la matière, il sait déjà différencier le bon du mauvais caviar à seulement 7 ans. Difficile toutefois d’imaginer que c’est lui qui révolutionnera l’image de l’esturgeon en Europe. Adolescent, le Danois préfère l’univers de la musique à celui des affaires. « C’est pour financer mon premier piano que j’ai eu l’idée de vendre du caviar. Cela a été le déclic », raconte l'intéressé avec l’authenticité qui le caractérise. « C’est lui qui a véritablement fait rentrer le caviar dans le monde du luxe, témoigne Florence Notter, une de ses amies qui est également membre du conseil d’administration de plusieurs fondations et une personnalité du monde des affaires en Suisse. C’était auparavant un produit réservé aux initiés. Il a su créer tout un univers autour. » Mais qu’on ne s’y trompe pas. Si Peter Rebeiz est bel et bien un acteur du marché du luxe en Europe, l’homme n’a rien de « bling bling ». Self-made man, il n’hésite pas à revendiquer ses origines, tout comme les efforts consentis pour transformer l’entreprise fondée par son père en une société florissante qui compte aujourd’hui 600 salariés et affiche un chiffre d’affaires de plus 100 millions d’euros. « Il est très convivial et n’a jamais pris la grosse tête », assure Florence Notter. Même analyse pour Mathieu Jaton, le CEO du Festival de jazz de Montreux, dont Peter Rebeiz est partenaire et membre de la société organisatrice : « Ce n’est pas un businessman de profits, mais plutôt un businessman de projets qui veut avant tout investir dans les secteurs qu’il connaît et qu’il aime. »

« La France doit être fière de son héritage dans l’histoire du caviar et de sa légitimité aux côtés d’autres pays comme l’Iran ou la Russie »

Peter Rebeiz

De l’alimentaire au luxe

Et cela, depuis toujours. C’est à seulement 20 ans que ce passionné plonge corps et âme dans le business du caviar aux côtés de son père, qui possède alors sa propre boutique à Copenhague. Pas question pour le jeune homme installé en Suisse et fasciné par le secteur du luxe de camper sur une image poussiéreuse. Sa conviction ? Le consommateur de caviar ne cherche pas à assouvir sa faim. Il veut avant tout se faire plaisir. Il faut donc sortir le produit du secteur alimentaire pour le faire entrer dans l’univers du luxe. Un monde exigeant, dicté par des codes précis. Peu importe la complexité du processus. Peter Rebeiz vise haut. Plus question par ailleurs pour cet ambitieux de se limiter à la vente. L’entrepreneur veut réduire les intermédiaires. Il investit alors dans la production de caviar sauvage issu de la mer Caspienne puis ouvre une première boutique à l’aéroport de Genève. Caviar House & Prunier se fait ainsi une place aux côtés d’enseignes prestigieuses telles que Cartier ou Louis Vuitton.

La société propose alors à ses clients des produits hors du commun comme une boite de caviar impérial emballée dans une boîte en or signée par la maison Piaget. « Après ce succès, nous avons lancé le caviar d'Almas, un caviar d’Iran d’une grande rareté considéré comme le plus cher du monde avec aussi des boîtes en or 24 carats, précise-t-il. Nous sommes allés au-delà du caviar lui-même pour lui appliquer tous les codes du luxe. Le succès a été phénoménal. » Un positionnement nouveau et une industrie nouvelle. Fort de cette première expérience à Genève, l’entrepreneur ouvre des boutiques dans les aéroports de Francfort, Copenhague, New York, Dubai, Zurich et de Londres. En marge de ces points de vente, il imagine un concept de « sea food bar ». « Nous avons créé le premier fast food du luxe dans les aéroports », assure avec fierté celui qui signe une nouvelle réussite. 

« C'est lui qui véritablement fait rentrer le caviar dans le monde du luxe »

Florence Notter

Du caviar 100 % français

Réussite qui sera largement bousculée dans le milieu des années 1990. « On a très vite compris qu’il allait y avoir un souci avec le caviar dans la mer Caspienne. Celle-ci se vidait dangereusement de ses esturgeons », explique-t-il. Inquiet, Peter Rebeiz alarme directement les Nations unies. Quelques jours plus tard, l’esturgeon est soumis à la convention de Washington encadrant le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction. Le prix du caviar explose. Le kilo, qui oscillait auparavant entre 1 000 et 1 500 euros, s’élève jusqu’à 8 000 euros. Lucide, l’entrepreneur sait qu’il doit trouver une solution, un plan B. Résolument optimiste, il se penche sur d’autres produits, en provenance d'autres pays. Tout en gardant sa ligne directrice : proposer une expérience haut de gamme à ses clients.

« C'est un businessman de projets qui veut avant tout investir dans les secteurs qu’il connaît et qu’il aime »

Mathieu Jaton, CEO du festival de
Jazz de Montreux

Il se tourne alors vers le caviar d’élevage. Si le produit n’a pas bonne réputation auprès des maisons traditionnelles, il intéresse toutefois une figure emblématique du monde du luxe : Pierre Bergé. Au début des années 1990, ce dernier mise sur le caviar produit en France en achetant la célèbre maison Prunier. « Quand je l’ai rencontré, je suis tombé amoureux non seulement de l’homme, mais aussi du produit qu’il proposait, se souvient Peter Rebeiz. J’ai immédiatement eu envie d’unir nos forces. » Pas question d’audit ni d’analyse financière entre les deux instinctifs décidés à produire ensemble du caviar d’élevage français, comme l’avait fait en son temps le fondateur de la maison Prunier, Émile Prunier en produisant le 1er caviar français sauvage en 1920. Un pari audacieux. Mais le risque paye. Progressivement, grâce aux conseils d’amis iraniens, le caviar 100 % français de Peter Rebeiz et Pierre Bergé s’élève au rang des meilleurs du monde. « La France doit être fière de son héritage dans l’histoire du caviar et de sa légitimité aux côtés d’autres pays comme l’Iran ou la Russie », assure l’expert regrettant que plus de la moitié du caviar consommé en France soit aujourd’hui importé de Chine. 

La maison Prunier, 1924, Paris. 

Avec le cœur et les tripes

Déterminé à faire de l’Hexagone l’un des premiers pays producteurs de caviar, Peter Rebeiz multiplie les points de vente dans des lieux stratégiques. Passionné par le symbole que représente la maison Prunier, il prend par ailleurs les rênes de l’institution après la disparition de Pierre Bergé. « Il a su moderniser les plats et allier le caviar à d’autres produits comme la burrata ou la pistache, témoigne Florence Notter. Si bien qu’on peut, chez Prunier, déguster du très bon caviar sans se ruiner. » Et ce n’est pas le seul projet que l’homme a l’intention de continuer à faire mûrir. Car il est également à l’initiative, aux côtés de Claude Nobs – fondateur du Festival de jazz de Montreux –, des Montreux jazz café, des lieux où musique et gastronomie résonnent dans un cadre élégant et convivial. « Il bouillonne d’idées et est à l’affût de potentiels développements pour sa société », note Florence Notter. Leader affirmé, Peter Rebeiz pilote avec bienveillance la société familiale. La preuve : la plupart des salariés de l’entreprise travaillent pour lui depuis des années. « C’est un homme qui sent les choses, assure Mathieu Jaton. Il cherche à tisser des relations de confiance, car il a une vision humaine du business. Chacun des projets le fait vibrer. Il les vit avec son cœur et ses tripes. » Comment faire autrement ?