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Philippe Bruzzo : Quelle folie, mais quel geste !

Le bâtonnier du barreau d’Aix-en-Provence n’est pas un avocat comme les autres. Avec son tempérament jovial, son franc-parler incisif, son goût prononcé pour la justice et sa capacité à mener les combats sans trembler, Philippe Bruzzo se pose comme l'un des hommes forts du monde des affaires dans le sud de la France. Portrait d’un phénomène.

Avril 2020

Difficile de se promener incognito dans les rues d’Aix aux côtés de Philippe Bruzzo. Commerçants et passants n’hésitent pas à saluer l’avocat. Pour le plus grand bonheur de l’intéressé. Il faut dire que, avec son caractère sociable, son accent chantant et son air jovial, le bâtonnier de 53 ans sait capter l’attention. Haut en couleur, voire parfois fort en gueule, celui qui a déjà défendu plus de 300 commerçants, incarne la chaleur des gens du Sud. Reconnu dans l’écosystème aixois pour son intelligence, sa bienveillance et sa loyauté, cet homme de droit déteste l’injustice plus que tout. Réputé pour son sens de la formule, il ne recule devant aucun combat. Les poings serrés et le verbe ardent.

 « Lors d’une plaidoirie, il est capable de citer spontanément un vers de La Fontaine ou une phrase de Clemenceau, témoigne son ancien associé et ami, Michel Faure soulignant une culture souvent attribuée aux avocats d’une autre époque. Il adore les échanges, le contact, tout comme il aime la castagne. Il est profondément honnête. Je crois que cela lui vient de son éducation bourgeoise. Il ne transige pas sur le sujet. Si bien qu’il peut lui arriver de se mettre en colère, mais ça ne dure jamais longtemps. Il est, en ce sens, très marseillais. » Un cliché ? Peu importe. Philippe Bruzzo reconnaît volontiers son fort caractère : « J’aime rendre des services à tout le monde. Mon réseau est propre. Je n’ai jamais appartenu à un quelconque groupe d’influence. Mais quand on me trahit, et c’est déjà arrivé, je ne suis pas très gentleman. Qui s’y frotte s’y pique. » Une capacité à se défendre qu’il assume. Comme il revendique avec panache son amour pour la vie. Même lorsque celle-ci lui joue des tours. Derrière cette image de bon vivant qui aime jouir des bonnes choses, se cachent des cicatrices profondes. Des failles qui font de lui ce qu’il est : un homme qui connaît la valeur du temps. La valeur, aussi, de ceux qui l’entourent. Notamment au sein du cabinet qu’il a fondé il y a cinq ans avec Cédric Dubucq, de vingt ans son cadet. Ce dernier, avec ses épaules solides et ses idées décapantes, permet à Philippe Bruzzo de mener sereinement sa mission de bâtonnier. « Avec Cédric, je recommence tout dès demain », assure avec joie Philippe Bruzzo, revendiquant un lien unique avec son associé et une envie commune de casser les codes. 

« Il adore les échanges et le contact, tout comme il aime la castagne. Il est également profondément honnête. Il ne transige pas sur le sujet »

Michel Faure, avocat, ancien associé au sein du cabinet Cadji 

Ancré en lui

Une volonté qui ne date pas d’hier. Dans la cour d’école déjà, le garçon au caractère rebelle n’hésite pas à prendre la défense de ses camarades contre des surveillants peu scrupuleux. Un peu plus tard, c’est avec un professeur d’anglais qu’il en viendra aux mains. « C’est comme ça que j’ai connu mon premier conseil de discipline, se souvient-il. Un véritable procès mais sans aucun contradictoire. Je n’ai pas pu me défendre. » L’homme a le choix : rester et être sanctionné, ou partir sans sanction. Parce qu’il la juge plus juste, il retient la seconde option. Il rejoint alors une école jésuite largement formatrice au sein de laquelle il peaufine son éducation classique et religieuse. Un épisode qui transformera durablement sa vision de la vie et qui viendra confirmer sa vocation : le jeune homme est un avocat-né. C’est ancré en lui. Une fois son baccalauréat en poche, Philippe Bruzzo s’inscrit à la faculté de droit d’Aix-en-Provence, « une ville prestigieuse, où l’art est omniprésent et où les filles sont belles ».

Double intérêt

S’il se dirige instinctivement vers le droit pénal, ce fils d’entrepreneur particulièrement à l’aise à l’oral ne peut ignorer son goût pour les affaires. Un double intérêt qui lui permet de tirer son épingle du jeu. Dès le début de sa carrière, ses qualités de pénaliste et son style décomplexé détonnent au sein des tribunaux de commerce. « Les juges consulaires adorent les plaideurs, reconnaît, sourire aux lèvres, celui qui s’imposera rapidement comme une référence en matière de contentieux commercial. Je savais qu’avec moi, ils ne s’ennuyaient pas. » Une réputation qui lui permet de gagner la confiance des commerçants et des PME d’Aix. Si bien que, à seulement 26 ans, il se voit offrir la possibilité de s’associer au sein du cabinet Cadji. « La maison accompagnait tous les institutionnels de la place, explique-t-il. Notamment les banques et les compagnies d’assurance. J’ai pu apporter une clientèle différente. » Le jeune avocat, qui rapporte plus de dossiers que la plupart de ses confrères de son âge, multiplie les projets et autres initiatives. Quelques mois après avoir été nommé associé, c'est presque naturellement que ce plaideur devient lauréat de la Conférence du stage, gagnant ainsi encore un peu plus de visibilité.

« Philippe a une certaine élégance vis-à-vis de l’argent. Il sait que ça ne vient pas tout seul. Mais ce n'est pas un moteur pour lui  »

Michel Faure, avocat,
ancien associé au sein du cabinet Cadji 

Pas un homme d’argent

Au bout de huit années passées au sein du cabinet Cadji et à cause de diverses querelles entre deux associés, Philippe Bruzzo décide de monter sa propre structure. « J’avais une belle trésorerie, assure-t-il. J’étais épaulé par deux clercs et deux collaborateurs. » Droit commercial, droit pénal, droit immobilier… L’avocat est présent sur différents fronts. Une période faste dont il gardera un très bon souvenir. Il assume même avoir très bien gagné sa vie. Un détail toutefois. Philippe Bruzzo l’affirme : il n’est pas un homme d’argent. « Si je l’étais, je crois que je serais très riche, avoue-t-il en riant. Je dépense beaucoup, et pas toujours à bon escient. » « Il a une certaine élégance vis-à-vis de l’argent, note son ancien associé Michel Faure. Il sait que ça ne vient pas tout seul. Mais ce n’est pas un moteur pour lui. » « Sa première satisfaction, c’est avant tout de savoir qu’il a remporté une affaire difficile », confirme Jacques Marcant, l’actuel président du tribunal de commerce de Salon-de-Provence qui observe l'avocat depuis de nombreuses année et lui reconnaît une « éloquence hors pair ».

« Sa première satisfaction, c’est avant tout de savoir qu’il a remporté une affaire difficile »

Jacques Marcant, Président du tribunal
de commerce de Salon-de-Provence

Cédric Dubucq

Des batailles judiciaires, juridiques et humaines que Philippe Bruzzo mène seul aux côtés de ses deux collaborateurs pendant quatorze ans. En 2014, après diverses sollicitations, il accepte de s’associer avec deux autres avocats. Seulement voilà, un an plus tard, il est foudroyé par le décès de son fils. Alors qu’il est touché et peine à traiter ses dossiers, il fait la rencontre d’un jeune avocat, Cédric Dubucq, qui souhaite travailler à ses côtés. Tout de suite, le collaborateur fait preuve de pugnacité et de vivacité d’esprit ainsi que d’une grande lucidité face aux enjeux de certains dossiers. Notamment en matière de restructuration. « Il a pris en main un important contentieux au moment où j’étais incapable de le traiter, se souvient Philippe Bruzzo. Deux jours plus tard, il est revenu avec une assignation de 25 pages. Il avait même sollicité l’avis du professeur Jacques Mestre. Celui-ci m’a confirmé que Cédric avait mis le doigt sur les bons éléments. » Le duo remporte le dossier. Philippe Bruzzo, reconnaissant, partagera 50 % de ses honoraires avec celui qu’il considérera très vite comme l’un des avocats les plus talentueux de sa génération.

« Philippe Bruzzo et Cédric Dubucq partagent ce côté saltimbanque. Ils aiment surprendre. Ils aiment qu’on les regarde. C’est positif, car ils le font en restant de très bons professionnels » 

Michel Faure, avocat,
ancien associé au sein du cabinet Cadji 

Une relation unique

Il n’en faudra pas plus pour sceller les contours du binôme. Dès 2015, Philippe Bruzzo et Cédric Dubucq, décidés à lancer un projet entrepreneurial ambitieux, fondent leur propre structure. Parce qu’ils ont la même énergie et la même envie de faire bouger les lignes, les deux avocats imaginent un cabinet d’affaires qui dépoussière la profession. Leur principal terrain de jeu ? Le droit commercial, les procédures collectives, le droit immobilier. Une association originale mais pas étonnante, selon les proches de Philippe Bruzzo qui connaissent le flair de l’avocat. « Il a été ébloui par ce garçon brillant, estime Michel Faure. Les deux partagent ce côté saltimbanque. Ils aiment surprendre. Ils aiment qu’on les regarde. C’est positif, car ils le font en restant de très bons professionnels. »  Complémentaires, les deux hommes se comprennent. Philippe Bruzzo apporte non seulement son réseau mais aussi son expérience et son caractère volcanique. Des ardeurs que Cédric Dubucq sait recadrer. Toujours avec bienveillance. « Il sait me remettre à sa place, assure Philippe Bruzzo. Notre relation est unique. Le genre de relation qu’on ne trouve qu’une fois dans sa vie. »

Un esprit jeune

Très vite, le cabinet Bruzzo Dubucq attire une clientèle de renom, principalement des entreprises installées dans le sud de la France. Sous l’impulsion de Cédric Dubucq, féru de nouvelles technologies et d’innovations en tout genre, la maison propose à ses clients une offre de services résolument moderne. Les avocats sont ainsi capables d’intégrer l’outil blockchain dans leur expertise et acceptent d’être rémunérés en crypto-monnaie… L’objectif final ? S’imposer comme de véritables business partners performants pour les entreprises qu’ils conseillent et accompagnent. Peu importe les modalités, tant que celles-ci respectent les règles déontologiques. Des initiatives auxquelles Philippe Bruzzo souscrit avec bonheur : « Je trouve tout ça génial. J’ai une confiance aveugle en Cédric. J’adore travailler dans cet esprit jeune. » Et lorsque certains confrères voient d’un mauvais œil ces innovations, craignant qu’elles dénaturent le métier, Philippe Bruzzo n’hésite pas à se montrer pragmatique : « Je leur dis qu’ils sont idiots, car les résultats de notre cabinet sont excellents. Nous faisons partie des cinq structures les plus influentes de la ville. »

« Il revendique son côté poil à gratter. Ça permet de faire sortir les loups du bois. Il est au fond très stratège. »

Jacques Marcant, Président du tribunal de commerce de Salon-de-Provence

Aider et encourager 

Une influence que Philippe Bruzzo doit aussi à son statut de bâtonnier. C’est en 2019, après de multiples sollicitations, que l’avocat décide de proposer sa candidature. Et le résultat est sans appel. Dès le premier tour, il obtient 79 % des voix. « Personne n’a réellement osé se présenter contre moi », admet-il. Son ambition en tant que bâtonnier ? Mettre à profit ses vingt-cinq années d’exercice pour aider les cabinets en difficulté et encourager les avocats à sortir de leur carcan. Un statut qui le contraint à faire attention à ce qu’il dit ou fait ? Pas franchement. « J’ai toujours eu le courage d’être libre. Quoi qu’il m’en coûte. Je ne suis pas achetable. » Une mission singulière qu’il peut accomplir avec audace et l’esprit tranquille, en sachant que les dossiers en cours sont bien suivis. « J’ai un associé merveilleux qui a parfaitement compris le métier. La situation est idyllique », confie cet avocat sans filtre qui, en véritable trublion, n’hésite pas à dire ce qu’il pense.

Une grande finesse

« Il revendique son côté poil à gratter, confirme le président du tribunal de commerce de Salon-de-Provence. Ça permet de faire sortir les loups du bois. Il est au fond très stratège. » « Il s’amuse souvent à en faire des tonnes », complète Michel Faure. Si bien que Philippe Bruzzo suscite quelques jalousies et rivalités. Pas de quoi lui faire peur. Il est « très largement apprécié », assure Jacques Marcant. Seules les critiques injustes peuvent le heurter. « Il n’est pas du genre à tendre l’autre joue, poursuit son ancien associé. Il est capable de prendre sa voiture sur un coup de tête pour aller s’expliquer de vive voix. » Un tempérament de bagarreur auquel s’ajoute une grande finesse. Celle du jazzman qui aime jouer dans les troquets de sa ville. Celle du provençal qui a besoin de « voir la mer » et de « toucher la terre » pour se sentir exister. Celle, enfin, de l’épicurien qui trouve le repos dans l’arrière-pays aixois, à l’ombre des vignes et des oliviers qui jouxtent sa chère maison de campagne. Libre, serein, heureux. 

 

  • Il aime le théâtre et a eu l’occasion d’interpréter différents rôles dans des pièces de Vaudeville.

  • Il préside plusieurs écoles catholiques à Aix-en-Provence. 

  • Il joue du trombone à coulisse à un niveau professionnel. 

 

« J’ai toujours eu le courage d’être libre. Quoi qu’il m’en coûte. Je ne suis pas achetable. »

Philippe Bruzzo